Le montage (couper "Jack!", "A l'aide!" etc pour ne garder que le cri) est ce qui intéresse De Palma en l'occurrence.
De Palma, ayant retenu les leçons de la guerre du Vietnam (comment les images devaient être controlées pour éviter les protestations), du scandale du Watergate et de l'assassinat de J.F. Kennedy (comment la vidéo d'un événement peut être frustrant) incorpore ces évenements quasi-contemporains au film. Mais c'est surtout le cas Chappaquidik, en 1969 qui inspire l'auteur. "Blow Out" pose alors plusieurs questions: comment faire confiance aux images si celles-ci sont modifiées? Qu'est-ce qui est réel et qu'est-ce qui est simulé ?
Revenir à la source d'un événement est ce qui préoccupe De Palma, en tant que réalisateur mais aussi en tant que spectateur. Tout comme ceux de Dario Argento, ses films montrent très souvent une scène traumatique (la plupart du temps un meurtre) qui se doit d'être analysée par le personnage principal. Parce que la séquence va trop vite (même au ralenti), celle-ci a besoin d'être disséquée: le plan-séquence (avec des coupes invisibles) de "Snake Eyes" en est l'exemple parfait. En 13 minutes, le cinéaste nous fait suivre le flic Rick Santoro (Nicholas Cage) dans un stade lors d'un combat de boxe. Mais le plan est coupé juste avant que le Secrétaire de la défense se fasse assassiner... Plus tard dans le film, Santoro demandera à des témoins dont son ami Kevin Dunne (Gary Sinise) de lui dépeindre leur point de vue durant ces 13 minutes cruciales. Bien sûr, Santoro ne découvrira pas la vérité aussi facilement (en effet, certains des témoins mentent). Il devra faire appel à quelque chose d'inorganique: un "plan absolu" pris par un ballon-caméra géant survolant le stade. Ce "plan absolu" est similaire au film créé par Jack Terry dans "Blow Out": il repose sur de la pure mécanique et, de ce fait, créé une distance entre celui qui voit et ce qui est montré, au lieu de faire participer le spectateur à travers la mémoire d'un ou de plusieurs personnages. Bien que le procédé soit différent, "Blow Out" et "Snake Eyes" partagent la même idée: qui est le plus à même de mentir? L'homme ou la caméra?
Le réalisateur du film d'horreur met la scène de la douche en boucle pendant que deux jeunes femmes crient en s'échangeant les rôles (une qui hurle pendant que l'autre l'étrangle...). Maintenant que Jack sait parfaitement synchroniser deux éléments qui vont bien ensemble (le son de l'accident et les images de celui-ci), il est dorénavant prêt pour la prochaine étape: synchroniser du vrai (le cri de Sally) avec du faux (la scène de la douche).
En la gardant à Philadelphie, Jack provoque une tragédie ou une farce de mauvais goût (rappelons la formule de Karl Marx:"L'histoire se répète, la première fois en tragédie, la seconde en farce"). Leur rendez vous à la gare avant que Sally ne s'en aille figure un moment en dehors de la fiction, l'endroit étant propice au démarrage du récit ou à son point de chute. Si Sally est forcée de ne pas monter à bord du train qui l'aurait sauvé (dans L'Impasse, Carlito Brigante meurt juste avant de pouvoir monter à bord du train) c'est bien parce que chez De Palma il y a un certain déterminisme qui bloque les personnages. Dans une des dernières scènes, Jack tente de sauver Sally, menacée par Burke: il court dans le sens inverse de la parade, d'une certaine façon englué par l'effet de ralenti. Quand il arrive, Sally est déjà morte. Il tue alors Burke et prend Sally dans les bras tandis que les feux d'artifices explosent dans une myriade de couleurs. Le plan d'après montre Jack dans une neige qui a symboliquement effacé toute trace de sang.
Donald Devienne
Réalisation : Brian De Palma
Scénario : Brian De Palma
Photographie : Vilmos Zsigmond
Musique : Pino Donaggio
Avec: John Travolta, Nancy Allen, John Lithgow, Dennis Franz ...
- 1973 : Sœurs de sang (Sisters)
- 1974 : Phantom of the Paradise
- 1976 : Obsession
- 1976 : Carrie au bal du diable (Carrie)
- 1978 : Furie (The Fury)
- 1980 : Pulsions (Dressed to kill)
- 1981 : Blow Out
- 1983 : Scarface
- 1984 : Body Double
- 1987 : Les Incorruptibles (The Untouchables)
- 1989 : Outrages (Casualties of war)
- 1992 : L'Esprit de Caïn (Raising Cain)
- 1993 : L'Impasse (Carlito's Way)
- 1996 : Mission : Impossible
- 1998 : Snake Eyes
- 2000 : Mission to Mars
- 2002 : Femme fatale
- 2006 : Le Dahlia noir (The Black Dahlia)
- 2007 : Redacted