jeudi 10 février 2011

Blow Out









En 1981, Brian De Palma réalise "Blow Out", film-somme des obsessions et des techniques du cinéaste dont la vision cynique vis à vis de la politique de son pays et du pouvoir des images n'a pas perdu de sa force. Echec au box office lors de sa sortie en salle, le film est édité chez Criterion le 26 avril 2011, occasion de revenir sur un thriller marquant.



Dans la première séquence, le film d'horreur est arrêté car le cri qui a été enregistré ne sonne pas vrai. Jack Terry (John Travolta), preneur de son, délivrera un cri "vrai" lors d'un final dévastateur. L'idée de "Blow Out" est de démontrer comment le réel (ici, le cri de Sally, interprété par Nancy Allen) est modifié/monté pour intégrer un monde factice (le film de série B). 
Le montage (couper "Jack!", "A l'aide!" etc pour ne garder que le cri) est ce qui intéresse De Palma en l'occurrence.  
De Palma, ayant retenu les leçons de la guerre du Vietnam (comment les images devaient être controlées pour éviter les protestations), du scandale du Watergate et de l'assassinat de J.F. Kennedy (comment la vidéo d'un événement peut être frustrant) incorpore ces évenements quasi-contemporains au film. Mais c'est surtout le cas Chappaquidik, en 1969 qui inspire l'auteur. "Blow Out" pose alors plusieurs questions: comment faire confiance aux images si celles-ci sont modifiées? Qu'est-ce qui est réel et qu'est-ce qui est simulé ?




Dans "Blow Out", De Palma utilise les couleurs du drapeau américain (décor, lumières, costumes), une parade pour le "Liberty Day" et un vilain, Burke (John Lithgow), qui porte un badge "Liberty day" tout au long du film. Le premier meurtre de Burke est d'ailleurs une erreur: il tue une femme (habillée en bleu, blanc et rouge) qui ressemble à Sally et déguise son acte en celui d'un maniaque qui mutilerait ses victimes en formant une cloche, celle de Philadelphie, sur leur ventre. En faisant en  sorte que Burke opère de cette manière, De Palma établit un lien entre le corps et l'Histoire. Plus tard dans sa carrière, il réalisera le film qui reflète le mieux cette idée: "Le Dahlia Noir"
De plus, il a souvent filmé des personnages comme Bucky Bleichert ou Jack Terry qui assistent à l'interaction entre ce corps en particulier (celui d'Elisabeth Short et celui de Sally, toutes deux attirées par une certaine forme de prostitution) et l'Histoire, celui-ci modifiant celui-là par sa disparition, hantant après coup un media (journaux, télévision, photos, films) toujours aussi morbide.




Mais De palma lui-même est obsédé par un objet morbide: le film Zapruder (les 26 secondes de l'assassinat de Kennedy). Jack Terry, lui, créé un film en montant le son qu'il a enregistré avec les photos de l'accident, celles prises par Manny Karp (Dennis Franz). pour prouver que ce n'est justement pas un accident. Comme l'indique Luc Lagier dans son ouvrage Les Mille Yeux de Brian De Palma: "En apportant sons et mouvement aux photos prises par Manny Karp sur les lieux du drame, Terry fabrique ce que n'est pas le film Zapruder: un film témoin parfait." 
Revenir à la source d'un événement est ce qui préoccupe De Palma, en tant que réalisateur mais aussi en tant que spectateur. Tout comme ceux de Dario Argento, ses films montrent très souvent une scène traumatique (la plupart du temps un meurtre) qui se doit d'être analysée par le personnage principal. Parce que la séquence va trop vite (même au ralenti), celle-ci a besoin d'être disséquée: le plan-séquence (avec des coupes invisibles) de "Snake Eyes" en est l'exemple parfait. En 13 minutes, le cinéaste nous fait suivre le flic Rick Santoro (Nicholas Cage) dans un stade lors d'un combat de boxe. Mais le plan est coupé juste avant que le Secrétaire de la défense se fasse assassiner... Plus tard dans le film, Santoro demandera à des témoins dont son ami Kevin Dunne (Gary Sinise) de lui dépeindre leur point de vue durant ces 13 minutes cruciales. Bien sûr, Santoro ne découvrira pas la vérité aussi facilement (en effet, certains des témoins mentent). Il devra faire appel à quelque chose d'inorganique: un "plan absolu" pris par un ballon-caméra géant survolant le stade. Ce "plan absolu" est similaire au film créé par Jack Terry dans "Blow Out": il repose sur de la pure mécanique et, de ce fait, créé une distance entre celui qui voit et ce qui est montré, au lieu de faire participer  le spectateur à travers la mémoire d'un ou de plusieurs personnages. Bien que le procédé soit différent, "Blow Out" et "Snake Eyes" partagent la même idée: qui est le plus à même de mentir? L'homme ou la caméra?



Dans "Blow Out", De Palma réinvente la séquence du Wissahickon Creek plusieurs fois après son moment initial. Primo, quand Jack écoute les bandes pour la première fois, son crayon reconstituant l'enregistrement: il entend alors le coup de feu et le pneu qui se dégonfle, le tout en différents points de vue. Mais on ne voit que ce qui se passe dans sa tête. Secundo, quand Jack monte le film en utilisant les photos de Manny Karp et l'enregistrement sonore : on voit donc Jack qui synchronise les deux, découvrant du coup une nouvelle version de l'événement. Tertio, quand Jack montre à Sally le film finalisé. La synchronisation du document est mise en parallèle avec la synchronisation du cri sur le film d'horreur. 
Le réalisateur du film d'horreur met la scène de la douche en boucle pendant que deux jeunes femmes crient en s'échangeant les rôles (une qui hurle pendant que l'autre l'étrangle...). Maintenant que Jack sait parfaitement synchroniser deux éléments qui vont bien ensemble (le son de l'accident et les images de celui-ci), il est dorénavant prêt pour la prochaine étape: synchroniser du vrai (le cri de Sally) avec du faux (la scène de la douche).




Après l'avoir sauvé de la noyade, Jack explique à Sally qu'elle est victime d'un complot. On voit Sally allongée sur son lit d'hôpital, sa peau blanche accentuant l'idée de sa mort prochaine (pourtant la dernière vision de Sally, morte, est celle d'un corps très coloré...). Mais Jack veut la garder "vivante": elle est une pièce du puzzle qu'il tente d'assembler. 
En la gardant à Philadelphie, Jack provoque une tragédie ou une farce de mauvais goût (rappelons la formule de Karl Marx:"L'histoire se répète, la première fois en tragédie, la seconde en farce"). Leur rendez vous à la gare avant que Sally ne s'en aille figure un moment en dehors de la fiction, l'endroit étant propice au démarrage du récit ou à son point de chute. Si Sally est forcée de ne pas monter à bord du train qui l'aurait sauvé (dans L'Impasse, Carlito Brigante meurt juste avant de pouvoir monter à bord du train) c'est bien parce que chez De Palma il y a un certain déterminisme qui bloque les personnages. Dans une des dernières scènes, Jack tente de sauver Sally, menacée par Burke: il court dans le sens inverse de la parade, d'une certaine façon englué par l'effet de ralenti. Quand il arrive, Sally est déjà morte. Il tue alors Burke et prend Sally dans les bras tandis que les feux d'artifices explosent dans une myriade de couleurs. Le plan d'après montre Jack dans une neige qui a symboliquement effacé toute trace de sang.


Donald Devienne








Fiche technique:


Réalisation Brian De Palma
Scénario Brian De Palma
Photographie Vilmos Zsigmond
Musique Pino Donaggio
Avec: John Travolta, Nancy Allen, John Lithgow, Dennis Franz ...

Brian De Palma, filmographie sélective:






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