vendredi 28 octobre 2011

HBO (OZ et ses enfants)



(Et si une chaîne du câble avait été touché par la grâce.)



On est en 2001 ou peut-être 2002, je ne sais plus. Série Club et Canal Jimmy passent encore des programmes dignes. A cette époque, je découvre OZ et dés cet instant, mon regard sur la production audiovisuelle va changer net. Il est donc possible d'approcher (voir même de dépasser) le cinéma, même avec une série à huis clôt. OZ est une chronique ultra violente et réaliste (quoique la frontière avec le rêve ne soit jamais très loin) de la vie en prison. De OZ, il est facile de faire le lien avec Les Sopranos et même Six Feet Under, si on veut pousser un peu plus. Prenons un raccourci: Tu es un gangster, tu es de la famille Soprano. Tu te fais chopper, tu pars passer quelque temps à l'ombre des murs du pénitencier d'Oswald, puis un jour, tu te prends un coup de cutter et tu finis par te faire embaumer chez Fisher & Sons... Nous ne ferons pas la liste des excellentes séries produites par cette chaîne, mais nous pouvons en énumérer quelques unes en plus des trois citées plus haut: Entourage, Rome, The Wire, True Blood, Eastbound And Down, Game of Thrones ... Etc.




HBO a changé la série télévisé. Ils ont su niveler vers le haut un produit en totale déliquescence; souvenez-vous du début des années 90... La première diffusion de OZ en 1997 marque le premier grand tournant du paysage télévisuel lié à la série. L'aspect immersif et la mise en scène crue rendent cette oeuvre paradoxalement attachante; on se prend à "aimer" les personnages les plus odieux et à vomir les justes. Un épisode peut devenir une croisade contre nous-même, à force d'être confronter à cette forme extrême du rapport entre les hommes dans un lieu scellé. La prison est telle un grand cercueil duquel peu d'individus sortent indemnes. Ce cercueil que nous retrouverons en 2001 avec Six Feet Under. Ici, nous sommes chez les Fisher, une famille de croques-mort ou la vie prend le pas sur la neutralité. Malgré une atmosphère familiale pesante et lourde, il existe entre les membres de cette tribu une saine connexion. Ils communiquent peu mais ils sont tous reliés par un fil transparent, le casting presque parfait aidant sûrement.

Tiens, le casting... Que se soit OZ, Six Feet Under ou même Les Sopranos, les acteurs seront presque toujours au top. Comédiens français, prenez-en de la graine. Même le type qui jouera le laveur de vitre au fin fond du cadre a sûrement plus de présence que la plupart d'entre vous, et nous ne sommes que dans une série... Oui, ce truc qui passe dans cette drôle de boite que la société bien pensante du bobo de Plage/Seine renie. "Oh mais la télé c'est nul!". Oui, c'est nul. Et alors... Breaking Bad, Mad Men, La Petite Maison dans la Prairie... Ca vient d'où?!....

Donc, les acteurs. James Gandolfini (Tony Soprano), Michael C. Hall (David Fisher), Frances Conroy (Ruth Fisher), Eddie Falco (Carmela Soprano).... Christopher Meloni en infâme Chris Keller, J.K. Simmons en ignoble Vern Schillinger.... Ce n'est qu'un minuscule échantillon du réservoir à talent qu'ont été ces trois grands chapitres télévisés. D'ailleurs, beaucoup d'acteurs de télévision confirmés aujourd'hui, ont fait leurs armes dans ces trois séries (OZ plus particulièrement).



Il est inutile de rappeler en profondeur leurs sujets respectifs. OZ, du fait de son ancienneté et de son rôle précurseur a été découverte par le grand public sur le tard. Un peu comme une toile de maître qu'on retrouverait sous une pile de bouquins prenant la poussière dans le grenier... J'ose tout à fait cette comparaison, elle est même assumée. Depuis OZ, quelle série est allée plus loin dans le propos, qu'il soit social, politique, humain, charnel, haineux... Aucune. Certaines, ont choisi un chemin ouvert grâce à Tom Fontana, l'homme qui a révolutionné la façon de regarder un produit fictionnel destiné au petit écran, mais sans jamais être en mesure de tout rassembler comme il l'a fait avec cette série. Il a su ouvrir la voie vers un langage visuel et scénaristique opposé à la production type de l'époque (Lois & Clark, Stargate SG-1, Walker Texas Rangers (!), Highlander, X-Files ou même.... Xena la guerrière).

Il faut revoir un épisode de X-Files de nos jours pour se rendre compte qu'à l'époque, la télévision ne nous a franchement pas gâté...


R.L



mercredi 19 octobre 2011

Petite idée d'un cinéma sans saveur (et qui se meurt)




Bienvenu dans le 21e siècle mon ami. Tu l'as aimé ta séance ce samedi soir? Tu as vu quoi? Drive? The Artist? Un petit film d'auteur qui t'a retourné l'estomac tellement l'histoire était profonde et les acteurs sincères dans leur intolérable souffrance?.. Tu as préféré voir un blockbuster car tu vas au cinéma pour le spectacle?


C'est quoi le cinéma?... Ca peut-être un moyen de faire passer un message, pour d'autres, de divertir. Certains utilisent ce biais car rien n'est plus agréable que de prendre le spectateur pour un abruti. Ne sommes-nous pas tous qu'une belle bande de crétins écervelés qui ont souvent besoin d'un écran pour cultiver notre matière grise et nous donner l'impression d'évoluer intellectuellement?... Toi, t'es un génie qui tire son savoir grâce à la vérité d'un tiers. Le prêtre te dit de croire en Dieu, sois un bon soldat et tire toi une balle dans le pied, danse mon ami.


Le cinéma d'aujourd'hui est tel une grande église. A chacun son cinéma (église) pour assister au prêche (le film) final d'une civilisation malade, la notre. On nous balance la 3D pour donner du relief. Commencez par embaucher des scénaristes sachant tenir une histoire qui nous fera baver jusqu'à la fin.

Scorsese (encore lui) passe à la 3D. Le cinéma est malade. Cancer incurable, hépathite, sida. Pourquoi ne pas sortir une version remasterisée du Parrain en 3D?... Nous irions tous, moutons amorphes, vivre une expérience inoubliable dans notre église IMAX au coin de la rue.. Marlon en trois dimensions mon pote!


Je milite pour la construction d'un parc à thème reprenant l'univers de Metropolis. On y trouverait le Fritz Lang Burger qu'on ferait tomber dans l'estomac avec l'aide d'un petit Maria Cola bien glacé. Vas au diable suceur de frite. Je veux pas finir en Soleil Vert... Rends moi mon cinéma. Et surtout ne te méprends pas, continue à produire ton ciné tagada pour les profanateurs mangeurs de pop-corn au beurre transgénique, nous avons besoin de ton argent pour jouir de ce qui reste.


Le cas Weinstein interpelle. Ils ont su faire le lien entre les deux mondes. Celui du clinquant et du profit face à celui du pari et et de l'échec souvent inévitable. Ces types ont tout compris. Faisons une simulation grotesque. Je suis Harvey Weinstein, j'ai cinq films devant moi et je dois les "catégoriser". Le premier sera le film à oscar. Le second sera l'assurance d'avoir les comptes équilibrés à la fin de l'année. Le troisième, le coup de pouce qui permettra à la boîte de voir venir. Le quatrième, c'est le pari. Et le cinquième, un caprice. Le cinéma n'est qu'un business, mais un business grâce auquel nous pouvons apprendre, communiquer, partager, rêver... N'abandonnons pas la course au tout technologique si l'avenir de cet art passe pas là, mais n'oublions pas que la base reste avant tout ce que notre cerveau nous permet de réaliser et ce avec quoi nous lui offrons cette capacité. Mettons nous tous bien d'accord, la soupe de grand mère est toujours meilleure qu'une brique Maggi... Les ingrédients mes petits, les ingrédients sont la base de tout. Si la base est mauvaise, tout s'écroule. Et celle du cinéma commence à pourrir sérieusement.


(Harvey Weinstein)



R.L

mercredi 28 septembre 2011

DRIVE




Youpi! Un nouveau Nicolas Winding Refn. Ca me faisait la même chose avec Scorsese jusqu'à Shutter Island... (Malgré le décevant "Les Infiltrés").

Refn, revient presque 2 ans après l'excellent Vahalla Rising, avec cette fois, un exercice de style mi-réussi mi-foiré. Pourquoi? Parce que tout ce qui compose cette oeuvre pourrait venir d'un autre film.

On retrouve du Mann, du Wenders, du Lynch... Monsieur a de bonnes sources d'inspiration mais en empruntant ce chemin, il a perdu cet aspect brut et sauvage qui faisait l'intérêt de ses films précédents.



Drive est un bon film, c'est une évidence. Mais c'est une oeuvre totalement vide. Ryan Gosling (qui avait été très bon dans Danny Balint ou Half Nelson entre autres), est méconnaissable; son personnage ne dégage rien, à l'image de Carey Mulligan en voisine paumée. Les seconds rôles sont plus consistants (Ron Perlman notamment).

Le film part sur une excellente note. La scène d'ouverture est un modèle de suspens. Le son, le découpage, les cadres donnent une sensation d'immersion totale. Le jeu simple de Gosling mettant en valeur ce tout. Puis, c'est la chute.

Le générique arrive et le film se meurt doucement. C'est une glace oubliée au soleil. Succession de scènes trop esthétique frôlant le pathétique, les acteurs se retrouvant dans ces tableaux contrastés, sans vraiment donner l'impression de savoir ce qu'ils font là. Et cette histoire de presque amour totalement impossible, qui une fois de plus vient parasiter un récit qui n'en a pas besoin ( certaines scènes "romantiques" m'ont presque donné la nausée tellement l'ensemble paraissait fait de sucreries pas assez acides, car peut-être non assumées).

Mais, comme pour certains la femme reste l'un des grands mystères de l'humanité, on continue à vouloir faire "galèrer" les protagonistes. Refn, ne nous fais pas une Nolan s'il te plaît!






Passons sur la molesse de Gosling, la fadeur de Mulligan et l'invisibilité de Bryan Cranston qui va avoir beaucoup de mal à sortir de son personnage de Walter White dans Breaking Bad, que nous reste t-il?...

Ah oui, Ron Perlman. En plus d'avoir cette sacrée gueule, il impose par son physique et prouve qu'un acteur peut continuer à progresser quelque soit son âge. Peut-être Refn devrait réfléchir à une prochaine collaboration avec ce type, car avec Bronson et Vahalla Rising, il a montré qu'il savait "animaliser" un être humain.

La mise en scène est masturbatoire. Calée, propre, sans trop de fautes de goût et globalement bien maitrisée... C'est bien là mon problème. Ca manque de fond. Peut-être la faute au scénario, écrit sur un post-it entre midi et deux (?).

Alors oui, j'aime les belles images et les beaux cadrages mais malheureusement, j'attends plus d'un film et surtout de la part de ce type, qui avec Bronson m'avait donné une belle claque.


R.L


samedi 23 avril 2011

Scream 4



Après le tout récent échec de "My Soul To Take", injustement éreinté par la critique américaine, Wes Craven revient pour prouver qu'il est capable de signer un film d'horreur original et brillant. "Scream 4" est donc le grand retour d'un cinéaste souvent incompris.



Faut-il rappeler les mésaventures de Sidney Prescott (Neve Campbell)? Dans le premier "Scream", elle voyait ses amis assassinés par un tueur masqué à l'imagination débordante. Puis il y eut "Scream 2" et "Scream 3" qui, à force d'épuiser les retournements de situations chers au whodunit, ont fini par lasser. Réjouissons nous alors devant certaines trouvailles de ce "Scream 4": scène d'introduction jouissive, tueur (Ghostface) plus sadique que jamais et une fin qu'on retiendra grâce à son discours pertinent sur la jeunesse et son rapport à ce que Craven appelle "le méta-monde" (voir l'entretien avec Bill Krohn dans les Cahiers du Cinéma du mois d'avril).




Le scénario de Kevin Williamson décrit un choc des générations: d'un côté l'univers très années 90 de Sidney Prescott et Gale Weathers (Courtney Cox), avec leur rapport différé au monde (elles ont chacune écrit des livres après les événements) et de l'autre côté la jeunesse d'aujourd'hui qui s'abandonne dans le virtuel et l'instantané (le tueur filme les meurtres pour pouvoir les diffuser sur youtube). Si cet aspect moralisateur peut déplaire à certains, le ton ironique et l'emploi récurrent du terme "meta" laissent penser que le film a plusieurs niveaux de lectures.




Ce qui a changé c'est la manière de regarder les films dans "Scream 4": entre le Stabathon (les Stab sont une série de films dans le film inspirés par les meurtres de Ghostface) qui tourne court et où le morbide y est glorifié, et la vision d'un passage de "Shaun of The Dead" qui aboutit au meurtre le plus gore du film (belle scène où deux amies regardent, impuissantes et comme devant un écran, leur copine se faire massacrer dans la maison d'en face), on comprend que ce qui nourrit l'inspiration criminelle c'est le réseau des images qui enferme les protagonistes jusque dans leur perte. Ceux qui subsistent sont donc globalement ceux qui ne connaissent l'horreur qu'en vrai, le simulé du cinéma agissant comme un trompe-l-oeil qui prendrait vie au dernier moment.



Donald Devienne

dimanche 6 mars 2011

127 heures




Danny Boyle serait-il atteint d'une "tarantinite" aiguë, maladie consistant à faire reposer une carrière sur l'aura d'un seul film?.."Pulp Fiction" chez M. Tarantino et donc "Trainspotting" chez Boyle.

Son premier film, "Petit meurtre entre amis" a posé les bases d'un "nouveau" cinéma en Angleterre, le suivant aura consolidé les espoirs et d'une certaine manière, révolutionné la manière d'apprécier un film... "Trainspotting" pouvait se regarder comme un documentaire, un clip, un film voir même un dessin animé.


J'aurais aimé vous parlez de “Trainspotting”, mais malheureusement, “127 heures” sort au cinéma.


Pourquoi ce film et pas un autre? Parce que chaque film de Danny Boyle est un petit événement... Bien que versant de plus en plus dans une douce et certaine médiocrité, il est encore considéré comme une "valeur sûre et en devenir" du cinéma mondial. Un sursaut aura lieu avec "Slumdog Millionaire", oeuvre symbolique d'un cinéaste ayant du mal à grandir au milieu d'un monde gouverné par les adultes. Prenons “Millions”, mièvrerie grotesque mettant en scène deux jeunes frères, vivant dans une banlieue anglaise avec leur père, et qui trouvent un sac rempli de billets de banque. L'idée est sympathique, les possibilités nombreuses. Au lieu de cela, Danny Boyle nous offre un sous Mike Leigh sponsorisé par la Croix Rouge (La séquence de fin dans le village africain est d'une indigence extrême). DB réalisateur social? Surtout pas. Donneur de leçon?... Possible.



Pour son dernier film, Boyle choisi l'histoire d'Aron Ralston, jeune alpiniste resté coincé six jours et cinq nuits au fond d'un canyon, le bras droit coincé entre un rocher et une paroi. A l'aide d'un canif, il s'en sortira.

Tous les ingrédients sont réunis pour nous offrir un bon petit "survival movie" des familles.. Le film part comme un Danny Boyle, c'est à dire bien. Il joue sur les clichés dès le générique, nous installant confortablement dans notre fauteuil devant un film quasi SNCF. Peut-être devrait-il penser aux adaptations des Arlequins et autres SAS.

La musique est en totale adéquation avec le contenu de l'image, n'osant aucune contradiction mentale sur le spectateur. Tout est pré défini, le suspens est inexistant et le traitement des flashbacks totalement gratuit. C'est pourtant dans certaines de ces courtes séquences que l'on retrouve la patte du cinéaste mancunien.


Dire que "127 heures" est un film dénué de tout intérêt serait mentir. La performance solide de James Franco et le montage très rythmé permettent au spectateur de ne pas tomber dans l'ennui malgré un presque "Huis clôt" dans un trou de l'Utah..




RL

jeudi 10 février 2011

Blow Out









En 1981, Brian De Palma réalise "Blow Out", film-somme des obsessions et des techniques du cinéaste dont la vision cynique vis à vis de la politique de son pays et du pouvoir des images n'a pas perdu de sa force. Echec au box office lors de sa sortie en salle, le film est édité chez Criterion le 26 avril 2011, occasion de revenir sur un thriller marquant.



Dans la première séquence, le film d'horreur est arrêté car le cri qui a été enregistré ne sonne pas vrai. Jack Terry (John Travolta), preneur de son, délivrera un cri "vrai" lors d'un final dévastateur. L'idée de "Blow Out" est de démontrer comment le réel (ici, le cri de Sally, interprété par Nancy Allen) est modifié/monté pour intégrer un monde factice (le film de série B). 
Le montage (couper "Jack!", "A l'aide!" etc pour ne garder que le cri) est ce qui intéresse De Palma en l'occurrence.  
De Palma, ayant retenu les leçons de la guerre du Vietnam (comment les images devaient être controlées pour éviter les protestations), du scandale du Watergate et de l'assassinat de J.F. Kennedy (comment la vidéo d'un événement peut être frustrant) incorpore ces évenements quasi-contemporains au film. Mais c'est surtout le cas Chappaquidik, en 1969 qui inspire l'auteur. "Blow Out" pose alors plusieurs questions: comment faire confiance aux images si celles-ci sont modifiées? Qu'est-ce qui est réel et qu'est-ce qui est simulé ?




Dans "Blow Out", De Palma utilise les couleurs du drapeau américain (décor, lumières, costumes), une parade pour le "Liberty Day" et un vilain, Burke (John Lithgow), qui porte un badge "Liberty day" tout au long du film. Le premier meurtre de Burke est d'ailleurs une erreur: il tue une femme (habillée en bleu, blanc et rouge) qui ressemble à Sally et déguise son acte en celui d'un maniaque qui mutilerait ses victimes en formant une cloche, celle de Philadelphie, sur leur ventre. En faisant en  sorte que Burke opère de cette manière, De Palma établit un lien entre le corps et l'Histoire. Plus tard dans sa carrière, il réalisera le film qui reflète le mieux cette idée: "Le Dahlia Noir"
De plus, il a souvent filmé des personnages comme Bucky Bleichert ou Jack Terry qui assistent à l'interaction entre ce corps en particulier (celui d'Elisabeth Short et celui de Sally, toutes deux attirées par une certaine forme de prostitution) et l'Histoire, celui-ci modifiant celui-là par sa disparition, hantant après coup un media (journaux, télévision, photos, films) toujours aussi morbide.




Mais De palma lui-même est obsédé par un objet morbide: le film Zapruder (les 26 secondes de l'assassinat de Kennedy). Jack Terry, lui, créé un film en montant le son qu'il a enregistré avec les photos de l'accident, celles prises par Manny Karp (Dennis Franz). pour prouver que ce n'est justement pas un accident. Comme l'indique Luc Lagier dans son ouvrage Les Mille Yeux de Brian De Palma: "En apportant sons et mouvement aux photos prises par Manny Karp sur les lieux du drame, Terry fabrique ce que n'est pas le film Zapruder: un film témoin parfait." 
Revenir à la source d'un événement est ce qui préoccupe De Palma, en tant que réalisateur mais aussi en tant que spectateur. Tout comme ceux de Dario Argento, ses films montrent très souvent une scène traumatique (la plupart du temps un meurtre) qui se doit d'être analysée par le personnage principal. Parce que la séquence va trop vite (même au ralenti), celle-ci a besoin d'être disséquée: le plan-séquence (avec des coupes invisibles) de "Snake Eyes" en est l'exemple parfait. En 13 minutes, le cinéaste nous fait suivre le flic Rick Santoro (Nicholas Cage) dans un stade lors d'un combat de boxe. Mais le plan est coupé juste avant que le Secrétaire de la défense se fasse assassiner... Plus tard dans le film, Santoro demandera à des témoins dont son ami Kevin Dunne (Gary Sinise) de lui dépeindre leur point de vue durant ces 13 minutes cruciales. Bien sûr, Santoro ne découvrira pas la vérité aussi facilement (en effet, certains des témoins mentent). Il devra faire appel à quelque chose d'inorganique: un "plan absolu" pris par un ballon-caméra géant survolant le stade. Ce "plan absolu" est similaire au film créé par Jack Terry dans "Blow Out": il repose sur de la pure mécanique et, de ce fait, créé une distance entre celui qui voit et ce qui est montré, au lieu de faire participer  le spectateur à travers la mémoire d'un ou de plusieurs personnages. Bien que le procédé soit différent, "Blow Out" et "Snake Eyes" partagent la même idée: qui est le plus à même de mentir? L'homme ou la caméra?



Dans "Blow Out", De Palma réinvente la séquence du Wissahickon Creek plusieurs fois après son moment initial. Primo, quand Jack écoute les bandes pour la première fois, son crayon reconstituant l'enregistrement: il entend alors le coup de feu et le pneu qui se dégonfle, le tout en différents points de vue. Mais on ne voit que ce qui se passe dans sa tête. Secundo, quand Jack monte le film en utilisant les photos de Manny Karp et l'enregistrement sonore : on voit donc Jack qui synchronise les deux, découvrant du coup une nouvelle version de l'événement. Tertio, quand Jack montre à Sally le film finalisé. La synchronisation du document est mise en parallèle avec la synchronisation du cri sur le film d'horreur. 
Le réalisateur du film d'horreur met la scène de la douche en boucle pendant que deux jeunes femmes crient en s'échangeant les rôles (une qui hurle pendant que l'autre l'étrangle...). Maintenant que Jack sait parfaitement synchroniser deux éléments qui vont bien ensemble (le son de l'accident et les images de celui-ci), il est dorénavant prêt pour la prochaine étape: synchroniser du vrai (le cri de Sally) avec du faux (la scène de la douche).




Après l'avoir sauvé de la noyade, Jack explique à Sally qu'elle est victime d'un complot. On voit Sally allongée sur son lit d'hôpital, sa peau blanche accentuant l'idée de sa mort prochaine (pourtant la dernière vision de Sally, morte, est celle d'un corps très coloré...). Mais Jack veut la garder "vivante": elle est une pièce du puzzle qu'il tente d'assembler. 
En la gardant à Philadelphie, Jack provoque une tragédie ou une farce de mauvais goût (rappelons la formule de Karl Marx:"L'histoire se répète, la première fois en tragédie, la seconde en farce"). Leur rendez vous à la gare avant que Sally ne s'en aille figure un moment en dehors de la fiction, l'endroit étant propice au démarrage du récit ou à son point de chute. Si Sally est forcée de ne pas monter à bord du train qui l'aurait sauvé (dans L'Impasse, Carlito Brigante meurt juste avant de pouvoir monter à bord du train) c'est bien parce que chez De Palma il y a un certain déterminisme qui bloque les personnages. Dans une des dernières scènes, Jack tente de sauver Sally, menacée par Burke: il court dans le sens inverse de la parade, d'une certaine façon englué par l'effet de ralenti. Quand il arrive, Sally est déjà morte. Il tue alors Burke et prend Sally dans les bras tandis que les feux d'artifices explosent dans une myriade de couleurs. Le plan d'après montre Jack dans une neige qui a symboliquement effacé toute trace de sang.


Donald Devienne








Fiche technique:


Réalisation Brian De Palma
Scénario Brian De Palma
Photographie Vilmos Zsigmond
Musique Pino Donaggio
Avec: John Travolta, Nancy Allen, John Lithgow, Dennis Franz ...

Brian De Palma, filmographie sélective: