mardi 1 février 2011

Black Swan

Le mime, le dupe et le modèle.



Le cinquième long métrage de Darren Aronofsky laisse la douce impression de déjà-vu au spectateur cinéphile. Mais retravailler sur des idées du passé n'est en rien problématique à partir du moment où le cinéaste en question assume la filiation et transcende le matériau d'origine. C'est le cas ici pour "Black Swan" qui semble puiser son inspiration dans plusieurs films: "Les Chaussons Rouges" de Michael Powell, "Carrie" et "Phantom of the Paradise" de Brian De Palma et d'une certaine façon "La Mouche" de David Cronenberg.


Nina (Nathalie Portman) est danseuse dans la prestigieuse troupe du Lincoln Center à New York. Thomas Leroy (Vincent Cassel), le directeur artistique, doit remplacer Beth Macyntire (Winona Ryder) et choisit Nina pour interpréter la Reine des cygnes dans une nouvelle version du Lac des cygnes. Mais la pression est trop forte: Nina va peu à peu sombrer dans la folie...

La question du double (miroirs, doppelgänger...) est traitée ici comme mode de réflexion sur la création d'après modèle (mimétisme). Aronofsky est un cinéaste maniériste qui aime mettre en scène cette fascination pour la copie et sa modification: une mère possessive et manipulatrice (Carrie), une transformation (La Mouche), le monde du ballet (Les Chaussons Rouges) et un final renversant (Phantom of the Paradise). Aronofsky en profite pour glisser un commentaire sur son travail lors d'une conversation entre Nina et Thomas, avant qu'ils ne s'embrassent pour la première fois: en bref, la technique doit être au service de l'art. Il faut donc que Nina se "laisse un peu aller" et se détende pour que sa performance soit plus vivante, elle qui ne recherche que la perfection. C'est ce qui manquait d'ailleurs à "Requiem For a Dream" qui ne laissait pas de place à une véritable émotion tant le montage, la mise en scène et la partition de Clint Mansell formaient un bloc pratiquement incassable. Masturbation, prise de drogues, fantasme lesbien... C'est une véritable perte d'innocence en accéléré auquel on assiste dans "Black Swan".



En outre, l'aspect compétitif du milieu de la danse rejoint l'idée qu'Aronofsky doit se mettre au même niveau voire surpasser les De Palma, Powell et consorts auxquels il fait référence. La première rencontre de Nina avec Beth est d'ailleurs, de la part de la jeune ballerine, l'instant idéal, gênant certes, pour une révérence. Dernière rencontre: Nina lui plante à plusieurs reprises un coupe ongle dans le visage... Le rejet de son prédécesseur requiert ce passage horrifique. La transition se fait donc dans la douleur mais symboliserait à la fois le désir de coupure (avec la figure de la mère) et de mutilation d'un objet (la pellicule des films référencés) qui obsède en tant que modèle.


"Black Swan", film méta? Solution facile mais alléchante compte tenu du sujet: trahisons, peur d'être remplacé, jeunisme, abus sexuels. Le monde que décrit Aronofsky pourrait très bien être celui du cinéma...


Donald Devienne






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